La visite de Yellen en Chine, une manœuvre tactique

par Nick Beams

La secrétaire au Trésor américain, Janet Yellen, a entamé hier une visite de quatre jours en Chine, censée apaiser les tensions entre les deux principales puissances économiques du monde. Toutefois, ce voyage est en grande partie une manœuvre tactique des États-Unis dans le cadre de la guerre économique qu’ils mènent contre la Chine sous couvert de protéger la «sécurité nationale».

Les médias et les déclarations officielles évoqueront peut-être des discussions productives et même des branches d’olivier, mais le véritable programme des États-Unis, énoncé à maintes reprises, est que la Chine doit se soumettre à l’ordre international «fondé sur des règles» qu’ils déterminent.

La visite de Yellen s’inscrit dans le cadre d’une vaste opération américaine devant être perçue comme atténuant le conflit et qui fait suite à la visite du secrétaire d’État, Anthony Blinken, à Pékin le mois dernier.

La visite de Blinken avait été suspendue en février suite à l’accusation que la Chine avait utilisé un ballon météorologique pour une opération d’espionnage. Aujourd’hui, les États-Unis reconnaissent qu’il n’en était rien. La réunion visait à apaiser quelque peu les tensions pendant qu’on intensifiait la guerre des États-Unis et de l’OTAN en Ukraine.

La visite de Yellen a le même objectif. Elle vise également à apaiser les craintes de nombreux pays, en particulier ceux d’Asie du Sud entretenant des liens économiques étroits avec la Chine et qui redoutent que les actes des États-Unis ne leur causent de graves problèmes économiques.

À plus long terme, les États-Unis craignent que la Chine n’intensifie ses mesures de rétorsion suite à l’allongement de la liste des restrictions technologiques et commerciales imposées par les États-Unis, perturbant ainsi les chaînes d’approvisionnement avant qu’on n’ait mis en place des sources alternatives.

En annonçant cette visite, le département du Trésor s’est référé au discours important prononcé par Yellen en avril, où elle a exposé les fondements des mesures prises par les États-Unis à l’égard de la Chine.

Yellen avait affirmé dans ce discours que les États-Unis cherchaient à établir une «relation économique constructive et équitable» avec la Chine. Mais, comme le World Socialist Web Site l’a noté à l’époque, cela revenait à une déclaration de guerre économique.

Tout en insistant pour dire que les États-Unis ne voulaient pas se «découpler» de la Chine et qu’une «séparation totale» des deux économies serait «désastreuse», Yellen a clairement indiqué que «la sécurité nationale» était un domaine où les États-Unis «ne feraient pas de compromis», tout comme sur le respect des «droits de l’homme» dont l’invocation hypocrite est devenue une composante idéologique clé d’un militarisme américain en constante expansion.

La sécurité nationale a été invoquée pour imposer une série d’interdictions technologiques radicales visant à paralyser le développement de la Chine dans ce domaine crucial. Comme pratiquement toutes les avancées technologiques ont des applications militaires potentielles, les interdictions ne cessent de s’étendre.

À la veille de la visite, le Wall Street Journal (WSJ) a rapporté que «selon des personnes familières avec la situation» – généralement un euphémisme pour désigner une fuite venue du gouvernement – le gouvernement Biden se préparait «à restreindre l’accès des entreprises chinoises aux services d’informatique en nuage».

Cette nouvelle règle, si elle est adoptée, exigerait que des entreprises telles qu’Amazon et Microsoft obtiennent l’autorisation du gouvernement avant de fournir à des clients chinois des services d’informatique en nuage utilisant des puces d’intelligence artificielle avancées.

L’article indique que les restrictions proposées visent à combler une faille, identifiée par les analystes de la sécurité nationale, par laquelle les entreprises chinoises d’intelligence artificielle ont éventuellement pu contourner les contrôles d’exportation actuels en utilisant ces services. Le département du Commerce annoncerait l’action envisagée dans le cadre de la politique de contrôle des exportations mise en œuvre par le gouvernement en octobre dernier.

La stratégie économique de base des États-Unis a été décrite dans un autre article du WSJ annonçant la visite de Yellen.

«Le gouvernement Biden» dit l’article, «prépare depuis des mois un décret visant à réduire certains investissements américains dans les secteurs technologiques chinois perçus comme des risques pour la sécurité nationale. Il envisage également d’imposer des restrictions supplémentaires à l’exportation de semi-conducteurs vers la Chine, une mesure destinée à réduire la capacité de Pékin à développer une intelligence artificielle avancée. Yellen a demandé à plusieurs reprises aux multinationales de déplacer leurs chaînes d’approvisionnement hors de Chine, et le Congrès a créé de nouvelles subventions pour les inciter à le faire».

L’un des objectifs de la visite est de contrer les mesures chinoises dirigées contre les États-Unis alors que ceux-ci sont encore dépendants de la Chine dans de nombreux domaines économiques. Selon un responsable du Trésor, cité par le Financial Times, Yellen doit évoquer une nouvelle loi anti-espionnage qui donne à Pékin plus de pouvoirs pour riposter aux mesures américaines et à celles d’autres pays occidentaux.

«Nous sommes préoccupés par le type d’implications que cela pourrait avoir pour toutes les entreprises étrangères ou… les entreprises américaines en particulier», a déclaré le responsable.

L’interdiction imposée par la Chine au fabricant de puces américain Micron pourrait également faire l’objet de discussions.

L’objectif global de la visite de Yellen est clair. Il s’agit de dicter la loi à Pékin sur la sécurité nationale américaine, si ce n’est en public du moins à huis clos, tout en essayant de contre-carrer autant que possible toute mesure de rétorsion pouvant avoir un impact négatif sur les Etats-Unis.

Ce dont il ne s’agit pas, c’est de prendre des mesures significatives pour apaiser les tensions. C’est ce qui ressort des actions passées. Immédiatement après la visite de Blinken, Biden a jeté de l’huile sur le feu en qualifiant le président chinois Xi Jinping de «dictateur». Pendant son séjour à Pékin, Blinken a fait des allégations d’espionnage chinois depuis une base de renseignement à Cuba.

Sur le plan économique, tout va dans le même sens. Non seulement toutes les sanctions et les droits de douane imposés par Trump ont été maintenus, mais on en a encore ajouté régulièrement de nouveaux.

Cela est conforme à l’idée maîtresse de l’analyse de la sécurité nationale américaine selon laquelle, indépendamment des mesures militaires, l’expansion économique même de la Chine, en particulier dans le domaine crucial de la haute technologie, constitue en soi une menace existentielle pour la domination économique mondiale des États-Unis.

Si les États-Unis souhaitaient réellement apaiser les tensions, ils pourraient offrir quelques concessions en guise de branche d’olivier. Mais même les gestes les plus minimes dans cette direction ont été rejetés.

L’an dernier, Yellen a suggéré que l’assouplissement de certains droits de douane, imposés sur des marchandises chinoises d’une valeur de 350 milliards de dollars, pourrait contribuer à atténuer les pressions inflationnistes aux États-Unis, une demande régulière de la Chine. Des mesures ne pouvant être considérées comme ayant un rapport direct avec la «sécurité nationale», même en faisant preuve de la plus grande imagination.

Mais tout assouplissement a été pratiquement exclu en mai lorsque Yellen a déclaré dans une interview: «J’ai l’impression que le sentiment général au gouvernement est qu’il n’est pas approprié d’abaisser les droits de douane».

Yellen ne va pas à Pékin pour négocier, mais pour dicter les objectifs de son gouvernement.

source : World Socialist Web Site